Le 49er: histoire et concepts
Le seigneur des anneaux olympiques, une longue histoire !
La plupart des principaux concepts du 49er sont nouveaux dans le monde de la voile, ceci parce que le 49er a été développé à partir des 18 » Australiens, les fameux skiffs, qui ont eux-mêmes subi un développement inattendu au cours des 20 dernières années. Un rapide résumé de l’évolution des 18 » donnera un meilleur aperçu des origines du 49er.
Entre les années 1827 et 1975, les skiffs ont attiré beaucoup de spectateurs en baie de Sydney, car ils étaient très spectaculaires, avec leurs gréements énormes. Mais en définitive, ils n’allaient pas plus vite que les dériveurs apparus après 1960. Entre 1960 et 1974, les régates annuelles de Sydney étaient de temps en temps remportées par des 5o5 ou FD.
En 1975, la situation changea. Après un faux départ de Ben Lexcen (son ‘Taïpan’ de 1957 était rapide mais ingérable), David Porter persévéra en suivant un développement étape par étape sur plusieurs saisons, et finalement remporta le championnat du monde avec un skiff équipé par 3 personnes et barré du trapèze. Ce concept était surprenant car c’était le premier bateau au monde à rester continuellement au planing (au près comme au portant) dans des vents de 9nds et plus. Le développement des skiffs continua durant 20 années, menant aux coques ultralégères, ailes, spi asymétriques, et mât ‘flexi-tip’.
La vitesse de ces bateaux augmenta alors pour devenir ce qu’elle est maintenant, c’est-à-dire la plus rapide des monocoques. Leurs performances devinrent encore plus spectaculaires, attirant les médias et la télévision mondiale. Ceci n’était ni plus ni moins qu’une révolution des performances et de l’architecture.
Du fait du développement des ailes et donc de gréements énormes, les tensions de haubans et compressions de mât augmentèrent dramatiquement. La coque des 18 » modernes, qui ne pèse que 85kg, supporte une tension d’une tonne de chaque côté (haubans), 500kg sur l’étai, et 3 tonnes au pied de mât ! La pratique a démontré que sous cette torture, les coques perdent leur potentiel de vitesse en 1 an, le stratifié (vinylester) se délamine en 2 ans, durée maximale pendant laquelle une coque bien construite peut espérer gagner. Un des avantages de l’époxy est qu’il n’absorbe pas l’eau de mer, ne prenant pas de poids au cours des années. C’est pourquoi le 49er est construit en époxy.
La conséquence des performances atteintes par les 18 » fut alors une augmentation importante (proportionnelle à leur vitesse) du vent apparent, ces gréements énormes devenant très physiques, leurs énormes voiles devenant dures à border, sans parler de leurs bout-dehors, atteignant les 8m. Un grand nombre de réglages furent introduits pour réduire la puissance dans les vents forts et les longues rafales, rendant les bateaux d’autant plus complexes. Dans les années 1980-85, le nombre d’équipiers capables de mener ces bateaux à la victoire diminua sans cesse. Depuis, le climat vira à la simplification.
La première simplification était une invention de Julian Bethwaite, qui supprima les bout-dehors orientables au profit d’un bout-dehors fixe, et aplatit la chute de ses spi, inventant le spi asymétrique. Ces développements amenèrent à des bateaux, comme le 49er, capables de descendre beaucoup plus dans le vent. Avec l’augmentation de la vitesse au portant, on découvrit ainsi que la vitesse était fonction de la longueur de la chute du spi, et non pas uniquement de sa surface, réduisant ainsi la longueur des écoutes de spi.
Les gréements dormants subirent alors une grande révolution. Les monstrueux 18 » utilisaient des mâts en alliage (alu) pouvant cintrer dans le milieu pour aplatir la GV dans les vents forts. Le cintrage du milieu aplatissait le milieu de la GV et ouvrait la chute au milieu (donc très tôt), mais le haut de la GV restait creux et fermé.
Plus important, le cintrage du milieu détendait les haubans au capelage, détendant du même coup l’étai. Le bateau ne pouvait alors plus pointer dans le vent. De plus, le gréement pouvait vibrer légèrement, pouvant même, dans certaines conditions, entrer en résonance, provoquant sa destruction. Pour éviter ça, on mit au point des jambes de force hydrauliques devant le mât pour garder le gréement en tension. Mais le dispositif est complexe et lourd…
Bethwaite changea tout ça (alléluia !). Il développa un bateau plus petit avec un gréement totalement différent :
– Un bas-de-mât en alliage (relativement raide), tenu par deux étages de haubans (dont un sur barres de flèche, au capelage). Cintrant peu, les étages de bas-haubans ne se détendent pas, et l’étai reste alors sous tension, éliminant la nécessité de systèmes hydrauliques complexes et lourds.
– Un haut-de-mât en carbone, très souple, tenu par un deuxième étage de barres de flèche grée en tête, pouvant cintrer indifféremment du bas-de-mât.
Ces gréements se justifient à plus d’un titre. En voici quelques raisons :
- GV elliptique :
La GV, elliptique, offre un meilleur rendement, proche du rendement idéal, réduisant la traînée aérodynamique - Plus de toile dans les hauts :
A surface de voile égale, ces gréements sont plus compacts, donc plus légers et d’un moment d’inertie plus faible. - Moins de tension dans l’écoute de GV :
La tête de mât, très souple, cintre latéralement sous le vent, refermant ainsi la chute de GV sans qu’elle soit droite, suivant la courbure du mât sous le vent, provoquant un très léger dévers. Il n’est donc pas nécessaire de ‘blinder’ la GV pour fermer la chute, ce qui est le cas avec des voiles gréées sur des mâts raides. - Ajustement de la puissance de la GV :
– Le mollissement des bas-haubans provoque un cintrage en bas du mât, aplatissant le bas de la GV.
– Plus de tension dans les hauts-haubans accentue le cintrage, aplatissant la GV dans le haut
– Les haubans gèrent la tension de l’étai
On peut ainsi adapter la puissance d’une même GV aux conditions météo et au poids de l’équipage. - Autorégulation du gréement :
Avec le vent, le haut de la voile provoque un léger cintrage latéral du mât, tendant la chute. Si le vent monte, le centre de pression recule dans la GV, donc en arrière du mât, le faisant alors cintrer, aplatissant le haut de la voile et ouvrant la chute, sans toucher à l’écoute. Dans une molle, le mât revient à sa position initiale, creusant et fermant le haut de la GV. - Ajustement du point d’autorégulation :
Sur une GV entièrement lattée, l’étarquage du cunningham fait plus facilement cintrer le mât, réduisant alors la tension de la chute nécessaire pour faire ouvrir la GV. Elle ouvrira donc dans des risées plus faibles, et surtout réagira beaucoup plus aux réglages de hale-bas et de cunningham. Ainsi prendre du hale-bas diminuera la tension d’écoute (l’écoute ne joue que sur l’angle d’incidence de la voile), et rendra la régulation plus pointue, mais plus réactive. - Egalisation par rapport au poids de l’équipage :
Sur le premier bateau grée ainsi, le 18 » champion du monde 1990 AAMI I, Julian remarqua qu’en naviguant avec un équipage lourd dans des vents forts, les deux dernières lattes de la GV étaient à contre, alors qu’avec un équipage léger, en prenant du cunningham, une latte de plus était à contre, mais le bateau allait à la même vitesse.
Il pensa alors que ces gréements étaient l’une des raisons principales pour lesquelles les skiffs, comme le 49er, sont si peu sensibles au poids de l’équipage.Les comportements dynamique et aérodynamique de ces gréements sont profondément différents de ceux de gréements dits normaux. Leurs avantages sont d’être simples, légers, autorégulateurs, très efficaces à la fois dans leurs formes initiales et dans leurs formes ‘ouvertes’, et le point d’autorégulation est ajustable au poids de l’équipage et aux conditions météo. De plus, leur traînée aérodynamique est très faible ; l’emploi de voile à fort rond de chute n’est donc plus pénalisant.
Finalement, ces gréements ont prouvé d’eux-mêmes qu’ils étaient d’un maniement simple, et capables de performances hors du commun. Les 18 » modernes et le 49er sont des modèles de simplicité. Avant, les concepteurs pensaient que c’était aux équipages de régler leur bateau pour avoir les bonnes formes de voiles suivant le vent et la mer. L’idée d’un gréement dynamique était complètement primaire ! Maintenant, l’idée est passée qu’il est aux concepteurs de concevoir(!) des combinaisons mât-voile-lattes pouvant être utilisées avec n’importe quel poids d’équipage dans n’importe quelles conditions, celui-ci ouvrant automatiquement et efficacement pour accompagner les fluctuations du vent.
Pendant plusieurs années, les ailes étaient fixées sur le plat-bord du bateau par une charnière, et l’aile sous le vent se repliait, grâce à un élastique. Ensuite, elles furent montées fixes, angulées au-dessus de l’horizontale. Pour les rendre plus praticables, on relia le tube à la coque avec un filet, puis avec un trampoline de catamaran, rendant les manoeuvres plus aisées, les équipiers ne se demandant plus où poser les pieds. Quelques-unes étaient mêmes pleines, au détriment du poids.
La suite du développement se fit par un réel effort en vue de réduire la traînée, tant aérodynamique qu’hydrodynamique. Pour réduire la traînée aérodynamique, les barres de flèche ont été profilées et angulées pour s’aligner avec le vent apparent. Les jointures ailes-coque ont été profilées. Les attaches des ailes, à l’avant de celles-ci, ont été reculées.
La forme des coques changea aussi. Il fut remarqué qu’un changement de quelques mm modifiait sensiblement le comportement de la coque à haute vitesse. Idem pour la longueur et l’angle des entrées d’eau par rapport au comportement dans les vagues. Les appendices furent également l’objet de nombreuses années de recherche.
Ces recherches sur l’amélioration de la traînée, influencées au départ par Julian Bethwaite, introduisirent de profonds remaniements dans l’histoire des 18 ». Bruce Farr domina dans les années 70, avec des bateaux augmentant juste au niveau des gréements. Ian Murray perça avec des bateaux plus petits dans les années 80, introduisant les ailes, puis le reste. Les bateaux devenaient alors de plus en plus toilés, grands, et lourds. Julian Bethwaite commença alors à faire des bateaux plus petits, réduisant la traînée, améliorant les détails, concevant des bateaux plus légers et plus solides.
Jusqu’à présent, il était accepté qu’un bateau assez gros pour faire une vague ne pouvait aller plus vite (sans déjauger) que la vitesse à laquelle il produit une vague de la longueur de sa coque (du fait de l’augmentation de la traînée).
Cette règle n’est plus universelle.
Des mesures de vitesse faites sur un 18 » par 7-8nds de vent ont montré que le bateau marchait à 7-8nds de moyenne. Le fait d’aller aussi vite que le vent est remarquable, mais là n’est pas la question. Le fait marquant est que le bateau évoluait dans ses lignes d’eau (non déjaugé), alors que sa vitesse de carène est de 1.34*root18=5.7nds. Et un 18 » commence à planer à 9nds!!
L’évolution et les progrès des 18 » amenèrent ainsi à un résultat inespéré. Les 18 », avec leur carène ultralégère et tendue ont réussi à éliminer le pic de traînée (apparaissant normalement, sur une courbe de traînée, juste avant le planing), considéré comme inhérent à n’importe quelle coque capable de faire une vague. Et Julian Bethwaite a réussi à transférer ces caractéristiques sur le 49er. L’une des conséquences de ceci est que les skiffs vont très vite dès les petits airs.
Concepts
La traînée des différentes parties du 49er (coque, appendices, gréement) est de loin inférieure à celle de n’importe quel autre skiff. Hydrodynamiquement d’une part, grâce au transfert du savoir-faire des 18 », aérodynamiquement d’autre part ; la coque est plus basse et ne possède aucune cloison externe (donc moins de résistance au vent). Les ailes sont plus petites, voire ridicules par rapport au 18 », et sont reliées harmonieusement à la coque, le tout restant profilé. Un point important est que les ailes sont à moins d’un mètre de la surface, là où le vent est le plus lent à cause de la friction avec la surface. De même, la prolongation de la GV au pied de mât améliore le rendement GV-foc et les écoulements au niveau de la bôme. Tout ceci réduit considérablement la traînée. Les ratios du 49er sont impressionnants :
Le poids total d’un 18 » atteint 450kg, dont 230kg d’équipage au rappel à 3.58m du centre du bateau, développant un moment de redressement de 230×3.58=824kg.m-1. La distance entre le centre vélique et le centre de dérive est de 3.65m. son ‘sail carrying power’ est donc de (824/3.65)/450=50.1%
le même calcul pour le 49er (271kg au total, dont 150kg d’équipage) donne un ‘sail carrying power’ de 117kg.m-1, soit 117/271=43%
Ainsi, avec seulement 86% de la puissance d’un 18 », le 49er atteint presque les mêmes performances.
Elaboration des lignes de coque
Le 49er est une évolution des B14 et 18 », avec une courbe de traînée plus faible qu’un 18 » grâce à son meilleur rapport longueur/poids total et à ses entrées d’eau extrêmement fines, qui font planter des pieux à d’autres bateaux au près, mais pas avec le 49er :
Les raisons de l’utilisation de l’époxy et de tissus laminaires sont les suivantes :
- l’époxy a plus d’élasticité que le polyester. Ceci signifie que sous un effort brutal et violent, là où le polyester va casser, l’époxy va simplement se déformer pour revenir à sa forme initiale après l’effort :
- Meilleure durée de vie.
- L’époxy est imperméable. Une cagne dans la coque n’est donc pas synonyme de prise de poids et de fragilité en plus.
- Les tissus employés, laminaires (tressés), sont stratifiés en les orientant au mieux par rapport aux efforts, ce qui est impossible avec du tissu ‘matt’.
- L’emploi d’époxy réduit les temps de production.
- Le 49er possède des renforts en carbone (obligatoirement stratifié avec de la résine époxy) aux endroits appropriés (pied de mât,…).
Le gréement du 49er
Le gréement du 49er est directement issu des gréements de 18 » : Un haut-de-mât en carbone, relativement long, et un bas-de-mât court en alu, avec un premier étage de barres de flèche gréées au capelage pour garder l’étai sous tension quand le mât cintre.
Le hale-bas a pris la forme d’une jambe de force, fixée au-dessus de la bôme, poussant celle-ci vers le bas :
Le hâle-bas à pris la forme d’une jambe de force, fixée au dessus de la bôme, poussant celle-ci vers le bas :
- Plus sécurisant, car rendant impossible un cintrage négatif du mât sous les efforts du spi, ce qui finit souvent par un démâtage.
- Plus de place au pied de mât. L’équipier peut alors courir d’une aile à l’autre sans être gêné.
- Meilleur écoulement de l’air (donc moins de traînée) autour du vit-de-mulet.
Principes de réglages : - La puissance de la GV par rapport aux conditions de la journée est réglée par la tension des bas-haubans et des haubans de tête.
- La force du vent à laquelle le haut-de-mât va cintrer, ouvrant et aplatissant le haut de la voile est réglé par le cunningham, qui peut être ajusté en route.
- La force de vent refermant la chute par cintrage latéral du mât est réglée par le hale-bas.
L’utilisation des ces trois réglages permet d’ajuster la puissance de la voile. Les équipages préférant naviguer avec du hale-bas prendront moins de cunningham, et réguleront à la GV. Cette technique donne une meilleure réponse avec moins de tension d’écoute. Les autres prendront moins de hale-bas et réguleront plus à la barre, avec plus de tension d’écoute.
Les appendices
La dérive et le safran n’ont pas la même forme ni les mêmes sections car ils n’ont pas le même rôle. La dérive inter-agit avec la coque et le safran pour empêcher celui-ci de caviter. Surtout, elle contrebalance la force exercée dans les voiles, et la plupart du temps, elle travaille avec un angle maximum de 2° avec la route du bateau. Le safran, lui, est 95% du temps dans l’axe du bateau, mais peut prendre beaucoup d’angle pendant les manœuvres (virements, empannages), toujours sans décrocher ni caviter. La dérive, bien que relativement courte, est assez longue dans les petits airs, et doit vite être remontée de 5cm dès que les deux équipiers sont tendus au trapèze, et de plus en plus au fur et à mesure que le vent monte.
Les ailes
Les ailes ont une très longue histoire, dont les premières lignes ont été écrites par Richard Court, à Perth, sur son 18 » Parry’s. Les premières n’étaient que de simples tubes, sur lesquels il fallait être habile pour ne pas se casser la g…. ! Puis quelqu’un pensa à les remplir, avec des filets très tendus. Ce fut une mini-révolution dans la conception des ailes, et elles sont maintenant toutes comme ça sur les 18 ».
Pour le 49er, une trentaine d’ailes furent testées (tubulaires, filets, repliables, pleines,…).
Les premières étaient constituées de plusieurs étages de tubes, comme sur le B14. Puis on essaya avec un filet, pour finalement les incorporer à la coque. Ainsi, le cockpit n’est plus seulement entre les deux plat-bords de la coque, mais s’étend d’un bout à l’autre des ailes. On peut alors courir de l’une à l’autre (virements) sans regarder où l’on met les pieds.
Conclusion
On voit donc, au final, que le 49er profite de l’énorme expérience acquise lors des années de conception des 18pieds Australiens, tout en faisant preuve d’innovation et d’adaptation à une taille et un poids plus faible. Cela en fait un bateau certes difficile à maîtriser (c’est un skiff ne l’oublions pas), mais très sain et très vivant.
Après beaucoup de pratique sur ce bateau, j’aurai seulement deux défauts à lui reprocher : la coque, qui n’est pas assez rigide (naviguer sur des 5o5 tout carbone ou en 18pieds nous habitue à des sensations et des performances dues à la raideur pure de la coque), et la géométrie du spi. En effet, la bordure du spi est courte, le bout-dehors aussi, et cela donne au 49er une forte envie d’enfourner…Chose qu’on ne retrouve pas du tout, bien au contraire, sur les 18pieds, qui ont proportionnellement des bout-dehors bien plus longs (mais fixes il est vrai) et des bordures de spi également plus longues. Mais rassurez-vous, ça reste l’un des meilleurs engins sur lequel j’ai navigué.