Getting fast in the fourteen – Trouver de la vitesse en I14
J’ai eu récemment l’occasion d’acquérir d’intéressantes compétences en conduite du i14, et j’ai souhaité les partager ici, afin qu’elles puissent servir à tous.
Par Avram Dorfman
Traduction : Maikol pour Breizhskiff
J’ai pu passer une après-midi à naviguer sur mon Bieker 4 avec comme équipier et coach Matt Noble. Les conditions étaient de 15 nœuds de vent avec des rafales à 18 nœuds, et un clapot léger à modéré (15 à 60 cm). Pour ceux qui n’auraient pas entendu parler de Matt, je ne peux résumer ici sa carrière, mais il est un quasi professionnel du skiff, ayant entre autre fait une campagne mondiale en 49er et une nationale en 18 pieds australien. Bien que je ne connaisse pas ses résultats récents, je crois comprendre qu’il était souvent près de la tête de la flotte dans les deux cas (NDT : Matt Noble est depuis devenu champion du monde d’i14, avec Archie Massey…).
Je me suis mis au i14 en me considérant comme un navigateur tout à fait compétent en 29er (25 nœuds de vent m’étaient aisés). Pourtant, je me suis rapidement retrouvé effrayé par mon i14 dans 18 nœuds ou plus de vent, et me décrirais comme mal à l’aise dans 15 nœuds.
Je pourrais remplir des pages et des pages de tout ce que Matt m’a appris, mais j’ai choisi de me concentrer sur deux choses clés qu’il m’a enseigné, et qui ont tout changé.
Premièrement, sur la conduite au près dans la brise « modérément forte » (15 nœuds, ce dont vous apprendrez vite, si vous ne naviguez pas encore en i14, que c’est la limite basse des conditions de « survie » pour un débutant sur ce bateau).
Mon problème dans cette brise, était le sentiment permanent que ni le bateau ni nos manœuvres n’étaient sous contrôle. Même simplement sur un bord, sans essayer de virer de bord, je me sentais dépassé, et dans une perpétuelle lutte contre le bateau et les conditions pour tenir le tout.
Ajoutez à cela qu’en régate, de quelque manière que j’aie réglé et navigué mon bateau, tout le monde me fumait en vitesse. La vitesse n’était évidemment pas ma priorité, mais je voulais au moins m’amuser plutôt que d’avoir le sentiment de n’avoir rien à faire là…
Voici un résumé des deux notions clés qui changèrent tout pour moi, suivi d’une discussion de chacune :
« Ce que tu prends pour un cap pas trop serré est probablement trop serré (pipé) en i14 »
« Il te faut gérer le groove »
D’abord, une explication de « piper » en i14. Ce n’est peut être pas le mot adéquat, c’est une question de perspective. Mais, pour simplifier, vous avez peut-être entendu dire qu’en skiff, il fallait conserver suffisamment de vitesse pour garder le contrôle.
Sur n’importe quel autre bateau, si vous me mettiez au près, et que j’avais du mal à garder le bateau à plat, je vous aurais dit « évidemment, on ne serre/cape pas assez, on peu difficilement le garder à plat ».
Et, avant de naviguer avec Matt, ma conduite au près se résumait à (et ceci s’avéra être totalement faux) :
- Mettre le bateau à un cap qui permette de naviguer à plat en étant sorti complètement au trapèze
- Laisser l’équipier gérer les risées en choquant juste assez pour garder le bateau à plat
- L’aider en lofant un peu dans ces risées pour qu’il puisse choquer moins.
Mais, avant de décrire la bonne stratégie, laissez moi préciser deux choses :
Premièrement, dans 15 nœuds de vent, la dérive d’un i14 doit être un peu relevée, entre 5 et 10 cm. Cela a mille fois plus d’importance que je ne l’aurais cru. Matt dit qu’avoir trop de dérive dans l’eau rend le bateau aussi surpuissant que de ne pas avoir assez de hâle bas ou de Cunningham, ou que d’être trop bordé. La dérive est un plan porteur et c’est le plus puissant du bateau.
Deuxièmement, « à plat » est deux choses à la fois que vous ne soupçonniez peut être pas…
- – C’est à plat de chez à plat. 1 degré de gîte n’est pas à plat.
- – Et c’est tout de suite.
Pas dans 2 secondes.
Pas dans une demi seconde.
Maintenant.
C’est tellement maintenant que si l’élément vous indiquant qu’il faut agir est que vous sentez le bateau commencer à gîter, il est déjà trop tard.
Un navigateur moyen en i14 sentira la risée sur son visage et choquera grossièrement avant que le bateau ne gîte.
Un bon navigateur verra la risée arriver, aura une bonne idée de sa direction et de sa force, et estimera quand et de combien il devra choquer avant de la sentir (je ne suis pas un « bon » navigateur en i14, et je ne sais pas prévoir les risées ainsi pour l’instant).
Ceci est essentiel pour deux raisons. D’abord, dès que vous commencer à prendre de la gîte, vous chargez le safran (gouvernail) et tuez votre vitesse ; ensuite, vous n’êtes plus dans le groove, et plus vous resterez ainsi longtemps, plus dur il vous sera de revenir dans le groove.
Or, ceci est le début de la perte de contrôle. Plus franchement, pour un débutant, si vous êtes gîtés, vous êtes déjà beaucoup plus près du dessalage…et franchir cette ligne n’est pas une bonne stratégie en i14…
Gardez donc bien cela à l’esprit en lisant la description de la bonne stratégie, car elle ne fonctionnera pas autrement :
- Cherchez à naviguer au près avec un cap pour lequel la bôme est ouverte de 15 à 30 cm tout le temps.
- Mettez vous en tête que moins de 15 cm d’ouverture = cap trop serré, et dites à votre équipier de vous prévenir si vous êtes à un angle qui le force à border plus que cela pour éviter la contre gîte.
- Sortez autant que nécessaire au trapèze pour naviguer à plat (de chez à plat !) avec la bôme ouverte comme indiqué.
- Lorsqu’une risée se présente, NE LOFEZ PAS. Ne barrez même pas du tout.
- a. Au lieu de ça, tirez autant que vous pouvez sur les trapèzes (sur la pointe des orteils, épaules dehors, bas sur le câble, voire même le bras au dessus de la tête)
- b. La stratégie de l’équipier devrait être de « sentir la risée arrivant et choquer de manière anticipée (pro activement) juste ce qu’il faut pour rester bien à plat ». Généralement cela ne devrait pas nécessiter plus de 30 cm d’ouverture en tout.
- c. Ayez la foi. Je ne plaisante pas. *
- d. Si, et seulement si l’équipier doit ouvrir plus de 30 cm, il doit vous dire de lofer un peu.
- e. Attendez vous, par habitude, à lofer dans les risées bien que vous ayez lu ceci et sachiez que vous ne devriez pas lofer. J’ai du, mentalement, me répéter sans arrêt d’abattre, au moins pour contrebalancer le réflexe de lofer.
* Avoir la foi : Non, ceci n’est pas une leçon de théologie. Ce que j’entends c’est « ayez la foi que tout ceci va marcher ». Lorsqu’une de ces risées va entrer, vous allez vous attendre à ce que le bateau gîte fortement et parte au lof, parce que c’est ce que font tous les bateaux que vous avez connu jusque là.
Cela ne se produira pas. Le bateau décollera comme une fusée et restera à plat.
De même, lorsqu’il aura décollé comme une roquette, et que vous verrez la bôme ouverte de 30 cm, vous risquez de vous dire : « Evidemment qu’on va vite, notre cap est trop abattu ! ». Vous ne l’êtes pas. Vous êtes en fait au début d’un cycle de vent apparent.
Au près, une risée fait tourner le vent apparent vers l’arrière du bateau. Si votre vent apparent est à 45 degrés, et que le vent durcit de 10% sans changer de direction, alors par définition le vent apparent aura un angle supérieur à 45° (peut être 50-55°), ce qui vous donnera l’impression d’être plus abattu. Mais, si vous ne lofez pas, et maintenez le cap, le bateau va accélérer. L‘accélération absorbera la risée, et l’équipier finira par border à nouveau, car le vent apparent sera repassé vers l’avant.
Vous aurez alors l’impression que la risée est passée, puisque vous n’êtes plus autant choqué. Mais en fait, elle ne l’est pas, c’est vous qui allez plus vite désormais.
Le résultat, hormis le gain de vitesse, c’est que le bateau se comporte très différemment, beaucoup plus sous contrôle. Vous venez d’éviter un cycle vicieux de lof trop important, qui aurait maintenu une vitesse trop basse, ce qui vous aurait laissé moins de contrôle, ce qui aurait rendu les risées encore plus puissantes qu’à pleine vitesse. Et ces risées vous auraient fait lofer encore plus, et cætera.
Bien entendu, il ne s’agit pas d’oublier vos penons et faveurs !
Lorsque je parle de maintenir le cap, je ne prétends pas que la direction du vent ne change jamais. Vous devrez toujours faire avec la direction du vent. Laissez simplement la règle des 15-30 cm vous guider pour déterminer la bonne route au près. Ne laissez pas le bateau lofer tant que vous n’atteignez pas la limite des 30 cm. Ne dépassez pas ces 30 cm pendant plus de quelques secondes lorsque le bateau accélère, à moins de ne pas arriver à le garder à plat en « tirant » sur le trapèze autant que possible.
Si vous êtes constamment choqué de 30 cm ou plus, et que tenter de naviguer plus bordé vous entraîne dans la mortelle spirale pipée (!), alors il est temps de retirer de la puissance du gréement. Plus de hâle bas, plus de cunningham. Vriller plus le foc pour ouvrir sa chute. Bien entendu le foc doit être bordé pour que ses penons soient horizontaux lorsque la bôme est dans la « bonne » position (les 15 cm en question).
« Le groove gérer tu dois »
Si vous vous intéressez aux i14s, vous savez probablement ce qu’est le groove. C’est ce sentiment que tout est bien équilibré, que la vitesse pure et la VMG sont toutes deux maximisées pour les conditions, et que cela perdurera tant que vous ne le briserez pas.
Evidemment, perdurer ne veut pas dire que vous n’aurez plus rien à faire, mais plutôt que vous allez pouvoir continuer à faire ce que vous avez engagé.
Tous les bateaux sont plus rapides dans le groove qu’en dehors du groove. Mais les i14 sont tellement plus rapides dans le groove, et tellement plus difficiles à naviguer en dehors, qu’être à l’intérieur du groove n’est pas simplement sympathique, c’est essentiel, même si vous êtes ravis d’arriver bons derniers. Il sera tout bêtement désagréable de naviguer hors du groove.
Donc, « gérer le groove » veut dire qu’il va falloir réserver une partie de votre conscience à déterminer à quel point vous arrivez à rester dans le groove, et, si vous constatez que vous êtes en dehors la plupart du temps, c’est qu’il vous faudra changer le groove…autrement dit l’élargir.
En théorie, un groove serré est plus rapide qu’un groove plus large, ce qui veut dire qu’élargir le groove vous fera perdre un peu en vitesse. Mais, en pratique, être dans le groove étant plus rapide qu’être en dehors, il sera toujours plus rapide d’être dans un groove plus lent que de ne pas arriver à tenir dans un groove rapide. Et en i14 ceci est exponentiel.
Donc, à moins que vous ne soyez une rockstar et que les australiens vous invitent à barrer leurs bateaux, vous n’avez aucun intérêt à créer un groove plus serré dans l’espoir d’aller plus vite, si vous n’êtes pas capables d’y rester…
Pour un i14, voici quelques trucs pour élargir votre groove :
- Descendez un peu le foc (remontez le point d’écoute). Ceci ouvre la chute et le slot.
- Relâchez un peu de hâle bas, laissez la chute de grand voile s’ouvrir quelques degrés plutôt que d’avoir des lattes supérieures parfaitement parallèles
- Ajoutez de la tension dans les uppers (NDT : sujet à controverse, l’idée d’ajouter du cunningham étant proposée aussi…)
Tout ceci a pour principal effet de retirer de la puissance du haut des voiles, ce qui réduit la capacité des risées à pousser le bateau à la gîte. Mais aussi, pour de nombreuses raisons que je ne saurais expliquer, ou même comprendre, cela rend le bateau plus tolérant, plus facile à naviguer. En fait le groove étant élargi, vous pouvez faire plus d’erreurs (de micros erreurs !) de barre ou de régulation avant de compromettre vraiment la vitesse du bateau. Si vous glissez hors du groove mais avec une bonne vitesse, vous pourrez retourner dans le groove plus facilement.
Par contre, si votre vitesse est compromise, il n’y aura plus de groove tant que la vitesse ne sera pas revenue ! Aucune combinaison régulation/barre n’est dans le groove tant que le bateau n’est pas à la bonne vitesse pour les conditions.
Parfois, vous n’arriverez pas à entrer dans le groove du tout. Cela veut dire que quelque chose ne va pas dans le réglage du bateau. Voici quelques indices clés :
Il est très probable que la dérive soit trop enfoncée. Matt dit que les dérives d’i14 sont beaucoup trop longues. C’est peut être un peu fort, mais je pense qu’il sous-entend qu’il y a assez de dérive pour permettre suffisamment de portance même dans les tous petits airs. Et que cela est du coup bien trop une fois dans la brise. Si vous sentez que votre conduite est erratique et que vous ne pouvez vraiment pas prendre le contrôle, alors vous avez probablement trop de dérive.
Peut être même beaucoup trop.
Soyez prêts à naviguer avec la dérive relevée jusqu’à 30 cm !
Une dérive produit de la portance, exactement comme les voiles, et une longue dérive produit énormément de portance, bien plus que vous ne pouvez en supporter dans la brise.
Si vous devez choquer beaucoup trop pour garder le bateau à plat, il se pourrait bien que la dérive soit en surpuissance, et non les voiles !
Je ne l’ai pas encore essayé, mais Matt proposait de volontairement naviguer avec trop de dérive un moment, de voir comment cela se passe, puis de la relever de quelques centimètres et comparer, puis encore un peu, et ainsi de suite. Il faudra expérimenter dans différentes conditions, mais l’essentiel est que si vous n’essayez pas au moins une large plage de réglages dans un type de conditions, vous n’apprendrez jamais comment le bateau devrait se comporter avec le bon dosage.
Ensuite, assurez vous que la barre est équilibrée. Si vous êtes au près, que le bateau est bien à plat, et que vous n’arrivez pas à avoir une barre équilibrée, c’est que votre centre d’effort n’est pas au bon endroit.
Le concept est « centre d’effort versus centre de résistance latérale ».
Le centre de résistance latérale est au milieu de la dérive.
Le centre d’effort (point d’application des forces) est quelque part entre le milieu du foc et le milieu de la grand voile (googlez le !).
Pour obtenir une barre équilibrée, ils doivent être l’un au dessus de l’autre.
D’abord, vérifiez bien que vous ne naviguez pas avec une des voiles trop bordée ou choquée. Si vous êtes certain que la grand voile et le foc sont à la bonne place (penons du foc horizontaux, bôme ouverte de 15 à 30 cm), et que la barre n’est pas équilibrée, alors votre gréement n’est pas à la bonne place.
Le point clé de tout cela, c’est que lorsque vous choquez la grand voile, vous déplacez le centre d’effort vers l’avant. De peu, certes (quelques centimètres peut-être), mais ces voiles sont énormes, et cela peut suffire à vous éloigner beaucoup de l’équilibre.
Donc, si votre gréement est au bon angle pour 12 nœuds de vent, que la brise monte à 15 nœuds et que vous naviguez plus choqué, votre gréement est maintenant trop en avant.
La grand voile choquée avance légèrement le centre d’effort, et le bateau essaie maintenant d’abattre si vous êtes à plat, ou bien vous êtes obligés de naviguer gîtés pour avoir une barre neutre. Si vous le pouvez, il suffira peut être simplement d’ajouter un peu de tension dans les haubans.
Si vous avez un réglage de quête de mât, essayez de faire de petits ajustements en cherchant une barre neutre.
Si le bateau est trop ardent (veut lofer tout le temps), votre mât est probablement trop en arrière.
Bref, la morale de cette histoire, c’est que si le bateau vous dépasse, rendez le plus facile à naviguer. Ouvrez les chutes, relevez la dérive, équilibrez la barre.
Et, comme toujours, pensez à la vitesse. Si vous oscillez sans cesse entre la sous puissance et la surpuissance, vous êtes certainement en sous vitesse !